C'est fait! C'est fini! J'ai complété mon premier ultra-marathon. Un beau 57km concocté sadiquement par Alister Garner et toute l'équipe du Bromont Ultra. À la fin du parcours, tout le monde me demandait si ça avait bien été et sincèrement, je ne savais pas trop quoi répondre. Est-ce qu'on peut tout simplement dire "bien" après neuf heures de souffrance? Commençons par le début.

L'attente

J'avais évidemment hâte au Bromont Ultra mais ça semblait toujours loin et diffus. Pendant l'affutage, la dernière semaine, je trouvais le temps long et j'avais hâte d'aller courir "pour vrai" au lieu de faire des 5-6km. Vendredi après-midi, le stress est apparu. Plus de l'excitation que du stress en fait. C'était dans moins de 48 heures. La nuit de vendredi à samedi a été courte. À 3h30, je ne dormais plus. Tant qu'à être éveillé, j'ai décidé d'aller voir le départ du 160km. Je suis arrivé tôt... très tôt... trop tôt. Tout le monde dormait. Après un petit tour rapide du site, dans le noir, je suis allé me réchauffer dans l'auto en attendant que tout s'active. Tranquillement, le site s'est éveillé et les merveilleux bénévoles se sont mis en branle. Les coureurs ont fait leur apparition et j'ai croisé mon ami Sébastien Roulier qui s'apprêtait à prendre le départ.

Vers 7h15, Audrey a rappelé les consignes aux coureurs et Gilles, l'instigateur du Bromont Ultra, y est allé de quelques conseils et encouragements. Joan Roch a fait un bon "pep talk" qui m'a motivé même si mon départ était seulement le lendemain. Au départ, Sébastien est parti comme une balle. Par contre, en le regardant, il ne forçait pas du tout. On aurait dit qu'il partait pour une petite balade. De voir tous ces athlètes partir, avec le soleil qui se levait sur la montagne, me donnait juste le goût de mettre mes souliers et de les suivre. Peut-être dans quelques années.

Après le départ, j'ai pu jaser un peu avec des gens inspirants: Joan Roch, Pat Godin et Sébastien Côté, entre autre. D'ailleurs, c'est fou comme tous les gens rencontrés au cours du weekend étaient tous sympathiques. Les histoires qu'on entend sont donc vraies: Il y a un esprit de camaraderie et d'entraide chez les ultra-marathoniens.

Sébastien Côté, de Harricana, et Patrice Godin qui a lancé son premier livre, Territoires Inconnus, il y a un mois

Le départ

Dimanche matin, je venais juste de me réveiller quand mon ami Marc-André (de La Meute, Plein air) m'envoie un texto pour me dire que Sébastien vient de terminer le 160km. Il aura vaincu le parcours en 21 heures et des poussières avec près de 5 heures d'avance sur les autres coureurs. Côté motivation, ça commence bien la journée.

Après un petit déjeuner et les derniers préparatifs, Edith et moi quittons pour Bromont. En montant, j'écoute la même liste de musique que lors de notre marathon, il y a deux semaines. Nous sommes arrivés en même temps qu'Audray, la collègue de Marc-André à La Meute. C'est la première fois que je la rencontre et je confirme qu'elle a la même énergie (et folie?) que Marc-André. La Meute avait 4 équipes inscrites au relais 80km. Les premiers coureurs étaient partis depuis 3h30 dans la nuit de samedi à dimanche. J'ai croisé Sébastien et je l'ai félicité pour son exploit. Il m'a parlé du parcours et quand il me décrivait certaines sections avec un petit sourire en me disant que je m'amuserais bien, je comprenais bien ce qu'il voulait dire.

Peu avant le départ, j'ai croisé Sylvain et Stéphane, deux frères de St-Jean sur Richelieu avec qui j'ai fait l'atelier de course en montagne, la semaine dernière. Comme moi, ils voulaient partir complètement à l'arrière. Après les consignes d'Audrey, les bons mots de Gilles et la description du parcours par Sébastien (qui venait de le compléter deux fois), nous nous sommes dirigés vers la ligne de départ. C'est dans la joie et avec de grands sourires que nous avons pris le départ. Une belle bande d'imbéciles heureux.

À l'attaque du Mont Brome

J'ai fait la première partie du parcours avec Sylvain et Stéphane. On a jasé tout le long et je me demandais toujours si les deux filles en avant de nous nous trouvaient fatiguants. Le parcours était très beau et montait en lacets dans le versant des Cantons. Les deux frères avaient la même stratégie que moi, c'est-à-dire monter les côtes en marchant. Après la première descente vient le premier défi: l'ascension du Mont Brome sur 3,5km. Je laisse Sylvain et Stéphane partir en avant car ils sont vraiment plus rapides que moi dans les montées. J'arrive en haut avec les jambes molles et je croise trois filles de la région de Gatineau avec lesquelles j'aurai l'occasion de jaser plus tard dans la journée. Pour arriver au premier ravito, il reste à descendre la piste Brome. J'aime descendre. Je décide de me laisser aller, au risque de me casser la gueule. Je dois quand même me freiner un peu parce qu'une piste de ski, l'été, ça peut être traitre avec les petites roches qui glissent sous nos pieds. Je croise Stéphane en descendant et j'arrive au premier ravito juste après Sylvain. Mes jambes ont tenu le coup sur la descente effrénée mais mon rythme cardiaque est beaucoup trop élevé si tôt dans la course. C'est le temps d'enlever un chandail chaud.

Je repars avec Sylvain et Stéphane pour la deuxième ascension du Mont Brome mais cette fois-ci, de façon plus brutale. Les organisateurs ont installé des cordes dans le sentier pour nous aider à grimper sur les roches. C'est le même dénivelé que la montée précédente mais sur une distance de 1km. Curieusement, je parle beaucoup moins dans cette section. :P

Arrivé en haut, la vue est magnifique mais j'ai déjà les jambes mortes. On vient de faire environ 1000m d'ascension sur les premiers 12km de la course. En commençant la descente, quelques crampes se pointent au niveau des ischio-jambiers. Heureusement, après quelques minutes de course, ça passe. Je rejoins Sylvain et Stéphane à l'entrée du single track. Fini les piste de ski pour l'instant. Je récupère pas mal d'énergie dans cette section et je peux me laisser aller dans les descentes. Ce sentier est magnifique. Je regarde ma montre et je suis dans mes temps. Je sais qu'Edith et ma fille Sarah m'attendent au ravito 2 et que j'y serai bientôt.

Première petite pause

Le ravito est au stationnement P5 du centre de ski Bromont. Une dernière descente sur les pistes de ski et j'y suis. Quand je sors du bois, je vois tout de suite Edith et Sarah au bas de la pente. Je me laisse aller complètement dans la côte et je suis accueilli par les applaudissements des gentils bénévoles et des amis et familles des autres coureurs qui sont derrière moi. Après m'être jeté dans les bras de mes filles, je repère tout de suite l'équipe de Sylvain et Stéphane pour leur dire qu'ils sont tout juste derrière moi et arriveront bientôt.

Edith m'aide à faire le ménage de mon sac à dos, je rempli mon sac d'hydratation et je mange un petit peu. Les deux frères font de même. Quand je suis prêt à repartir, ils sont en train de se changer alors je les salue en disant qu'on se recroiserais plus tard. Après des câlins et bisous, je dis à Edith et Sarah que je les reverrai dans environ 2h15... du moins, c'est ce que je pensais.

La prochaine section est facile. C'est un sentier large en gravier dans la forêt. Le soleil passe à travers les feuilles et offre un spectacle magnifique. Je rejoins Simon, de Mascouche, qui a quelques problèmes de crampes. On jase un peu pour se changer les idées. Nous avons parcouru une vingtaine de kilomètres depuis le départ mais j'ai les jambes plus fatiguées qu'après mon marathon d'il y a deux semaines. On se rend au ravito ensemble et pendant que je fouille dans mon sac, Marly arrive. Il n'y a presque plus d'eau dans la cruche. Mon sac d'hydratation est encore à moitié plein alors je laisse le peu qui reste à mes nouveaux amis.

L'érablière

C'est une des sections que Sébastien m'avait décrite avec un sourire qui en disait long. Ces sentiers ont été ouverts récemment, peut-être spécialement pour la course mais je n'en suis pas sûr. Je pars du ravito 3 avec Marly et nous jasons "un peu". Elle parle autant que moi. Je sais, c'est difficile à croire. C'est drôle car la semaine dernière, sur un groupe de discussions, nous nous étions dit qu'on se croiserait peut-être à la course. La première moitié de cette section consiste en trois ascensions avec une petite descente entre chacune. La pente est raide et chaque montée est plus longue que la précédente. Après un bout, Marly part en avant car j'ai de la difficulté à suivre. J'avais trouvé le mont Brome difficile mais c'est ici que je commence vraiment à souffrir.

Au sommet de la montagne, il y a une belle roche plate nous offrant une magnifique vue de ce paysage d'automne. Les couleurs sont juste parfaites et je regrette de ne pas avoir amené mon appareil photo. J'ai croisé deux filles super sympathiques, drôles et débordantes d'énergie au sommet. Ça m'en a redonné un peu quand je me suis lancé dans la descente. Encore une fois, en partant, j'ai des crampes dans les ischios mais aussi dans les adducteurs du côté gauche. Je commence lentement et après quelques minutes, je retrouve une bonne vitesse de descente. Je recroise Marly dans la descente (qui a une crampe elle aussi) et quelques autres coureurs qui sont mal en point. J'en rencontre un, blême comme un drap, qui a des nausées. Je lui donne un biscuit au gingembre, qu'Edith avait mis dans mon sac, avant de poursuivre mon chemin. Je donne une barre Fruit3 à quelqu'un qui en a définitivement plus besoin que moi. Je fais quelques pas avec quelqu'un d'autre qui me dit que sa course finissait au prochain ravitaillement. Je suis triste pour eux mais c'est con, ça me redonne de l'énergie. J'ai les jambes mortes, je suis épuisé mais je me rends compte que ça va mieux que beaucoup d'autres personnes alors je n'ai pas à me plaindre ou à m'apitoyer sur mon sort.

À la sortie de l'érablière, il y a un petit bout à courir sur une route de terre avant de couper sur le bord d'un champs de Canola en fleur. C'est tellement beau que j'en ai presque oublié que ça montait encore... presque. Après un autre petit bout en forêt, on reprend la route pour se rendre au ravito 4: chez Bob. Je suis à sec mais d'après mon plan, il me reste environ 1,5km à faire avant le ravito. Je sais que je suis en retard sur mon temps prévu et j'espère qu'Edith et Sarah ne sont pas trop inquiètes. Cette dernière section a été beaucoup plus difficile que prévue et je suis exténué. À la vue de mes amours, j'ai un regain d'énergie. Edith masse mes cuisses pour tenter de diminuer mon problème de crampes. Je mange un bout de banane, deux ou trois chips mais je n'ai pas faim ni le goût de manger (c'est rare ça). C'est probablement ma première erreur au point de vue nutrition. Le père de Simon vient me voir pour me demander des nouvelles de son fils. Je lui dis que je ne l'ai pas revu depuis le 3ème ravito mais je me doute qu'il manque cruellement d'eau. Comme je m'apprête à repartir, Sylvain et Stéphane arrivent. Je suis content de les revoir. Ils ont l'air fatigués mais tout semble bien aller.

Le cut-off

Depuis que je me suis inscrit au Bromont Ultra, quelque part au mois d'août, le cut-off est ma hantise. Je savais en partant que j'étais assez fort mentalement pour faire la distance mais est-ce que je me ferais sortir parce que je n'étais pas assez rapide? Il y avait toujours une possibilité d'abandon pour cause de blessure mais je n'y pensais pas. Ma seule préoccupation était de passer le ravito 5 avant 15h30, la limite établie par les dirigeants du Bromont Ultra. Huit heures pour parcourir 44km. Sur route, ce n'est pas un problème mais c'était ma première longue course en trail et avec un dénivelé important. J'avais tout de même une marge de manoeuvre car j'avais prévu être au ravito 5 vers 15h00-15h10.

En partant du ravito 4, j'ai du retard sur ma planification mais cette section est sur route et je me disais que je pourrais courir plus. Évidemment, c'était sans compter les jambes de béton et la fréquence cardiaque qui montait dans le tapis au moindre effort. Curieusement, je tombe dans un espèce d'automatisme. Je n'irais pas jusqu'à dire que ça va bien mais j'avance à un bon rythme étant donné les circonstances. Ça me rappelle le livre de Patrice Godin où il parle justement de cette sensation d'automatisme à un moment de la course. Je rejoins un gars qui marche mais qui semble avoir tout de même un bon moral. Il m'explique qu'il s'est fait mal au dos dans la descente de l'érablière, au 30ème kilomètre et que dès qu'il tente de courir, un spasme apparaît au niveau du dos. Nous sommes environ à 40km du départ et il compte bien terminer la course. Il a un très bon rythme de marche et est très rapide pendant les montées. Je jase avec lui un bout de temps avant de reprendre ma course mais je le recroiserai à plusieurs reprises avant la fin. C'est dans cette section que je revois les trois filles de la région de Gatineau. Une d'entre elle passe à côté de moi en coup de vent. Quarante-deux kilomètres parcourus et elle semble fraîche comme une rose.

Finalement, j'arrive au ravito 5 avec une heure d'avance sur mes prévisions. J'ai repris mon retard de la section précédente et même plus. Il est 14h10 alors je suis loin de l'heure limite de 15h30. Je venais de parcourir les 9km de cette section en une heure. Je sais que j'entre bientôt dans une partie très difficile du parcours. Je le sais d'abord à cause du tracé que je traîne sur moi mais aussi par le sourire de Sébastien en me parlant de cette section avant le départ de la course. Déjà, en passant au ravito 4, j'avais pris la décision de prendre mes bâtons de marche pour la fin du parcours pour m'aider dans les montées et les descentes. Après avoir fait le plein d'eau, de câlins et de bisous, je dis au revoir à Edith et Sarah et je repars pour une section de 6km.

On remonte

Je me fais un nouvel ami dans cette section mais nous avons oublié de faire les présentations. Il a un accent français et est beaucoup plus habitué que moi avec les bâtons. Il me donne de bons conseils sur leur utilisation. Après une petite montée sur la route, nous entrons dans les bois pour suivre un sentier de vélo de montagne. Cette section est très belle. Le temps est juste parfait: un beau soleil et environ 15°C. C'est une section ondulée qui se fait bien mais ça n'allait pas durer. Une autre belle ascension nous attendait. Je ne me souviens plus combien de temps elle a duré mais elle a paru une éternité. Ça me prend environ 1h30 faire ce 6 km. Presque arrivé à la sortie du bois, en piteux état, j'entends la voix de mon ami Dany qui m'encourage. Il m'a repéré à travers les arbres. Il me dit qu'il reste environ 200m avant le ravito en courant à côté de moi. Ça me fait tellement chaud au cœur de le voir. Il s'est déplacé, de Sherbrooke, spécialement pour venir m'encourager. Après 50km, ça me remonte le moral. J'arrive au ravito où Edith, Sarah et toute la famille de Dany m'attendent. Edith me dit de manger pendant qu'on remplit mon sac d'hydratation. Je prends un pretzel et un petit verre de coke mais je suis incapable d'en avaler plus. J'ai perdu le contrôle sur ma nutrition durant cette dernière section. Depuis le début de la course, j'avais bien géré mes électrolytes et j'avais pris des jujubes maisons toutes les 15 minutes en plus d'une barre Fruit3 toutes les 1h30 environ. Mais j'ai tellement souffert dans la dernière montée que j'ai complètement oublié de manger. De toute façon, j'étais beaucoup trop essoufflé pour avaler quelque-chose.

Je suis vraiment un imbécile heureux. Je souffre mais je ris avec mes amours, mes amis et les bénévoles. Ça fait longtemps que mon physique m'a abandonné mais mon moral est encore bon. Il me reste 6 ou 7 km et ce sera fini. Edith ose à peine me dire let's go, tu as presque fini. Elle sait ce que je ressens et sait que ces 7km seront beaucoup plus pénibles que les précédents.

Dernière montée?

En repartant du ravito 6, Dany demande au chef de station s'il peut faire un petit bout avec moi. On part donc ensemble à l'ascension de la piste de ski. Je vois que le gars s'étant fait mal au dos m'a dépassé une fois de plus. Il n'arrête pas au ravito et il a une vitesse de montée incroyablement plus rapide que moi. Lorsque le chemin bifurque vers une autre pente de ski, Dany repars vers le ravito pour rejoindre sa famille en me rappelant qu'il m'attendrait à la ligne d'arrivée pour prendre une bière.

Je continue donc à monter pendant un bon bout. Parfois ça monte lentement, parfois c'est à pic, mais ça monte continuellement. Arrive ensuite la descente dans la pente de ski double losange. La première partie est relativement douce mais étant donné la condition de mes jambes, c'est tout de même difficile. Je rejoins un coureur que je ne connais pas juste en haut d'une section qui descend vraiment très raide. Nos pieds glissent sur la terre et les petits cailloux. Je ne peux plus me laisser aller. Je dois contrôler ma descente. C'est beaucoup plus dur sur les jambes mais heureusement, j'ai mes bâtons pour m'aider. Je m'en sers pour me freiner et garder mon équilibre. Je ne sais plus trop si c'est la dernière descente mais un autre coureur me dit qu'il reste encore une montée.

Nous arrivons, à trois, au pied d'une autre piste de ski "experte" qu'il faut monter. Le haut de la côte semble si loin. Un coureur part en avant. À mi-chemin, l'autre me distance aussi. J'en arrache. Je mets alors en pratique un des conseils de Benoît, à l'atelier de la semaine dernière: je "bloque" ma cheville au lieu d'aller porter mon talon au sol à chaque fois. Ça me donne un effet de ressort qui me permet d'avancer un peu plus vite. Arrivé en haut, ça tourne à droite et ça continue de monter encore et encore. Je reprends mon souffle, plié en deux et appuyé sur mes bâtons. Je pensais être fatigué avant mais là, je suis complètement exténué. Je pense à Alister et j'ai juste le goût de le prendre par les épaules et de le brasser en disant are you out of your fucking mind? L'image me fait rire et ça m'aide à me relancer. J'arrive tant bien que mal au sommet... pour découvrir que ça tourne à gauche en continuant à monter. Au moins, je vois, en haut de cette côte, l'arrivée du télésiège. Je sais que cette fois-ci, c'est vraiment la dernière ascension. La pente est plus douce alors ça me permet de récupérer un peu. En arrivant en haut, je croise quelques personnes en vélo de montagne qui m'encouragent. Ils ne liront probablement jamais ceci mais si par hasard ils le font, je leur dis un grand merci. C'est fou comme chaque petit encouragement peut aider, surtout après 55km. Il me reste 2km de descente et c'est la ligne d'arrivée.

La dernière descente

J'ai le goût de m'asseoir un peu, de sortir mon téléphone et de prendre une photo de la superbe vue que j'ai en amorçant la dernière descente. Quand je repense aux gens qui m'attendent, je décide de continuer. Il me vient une curieuse pensée... je me rends compte que je ne veux pas que ça finisse. J'aimerais m'asseoir, reprendre un peu d'énergie et repartir pour encore un bon bout mais il ne me reste que 2km. Je suis épuisé et j'ai hâte de passer le fil d'arrivée mais en même temps, je ne veux pas que cette aventure se termine. C'est probablement un moment de folie passagère ou encore un de ces moments où je me considère un imbécile heureux.

Mes jambes ont tôt fait de me ramener à la réalité. La descente est pénible. Un mélange de piste de ski, de sentier large et de route pour me ramener au single track emprunté au départ. Pendant la descente en lacets, je croise mon ami marcheur qui a tenu bon malgré son mal de dos. Je croise un gars de Cornwall qui regrette de ne pas s'être entraîné plus en montagne. Finalement, j'arrive face à face avec Sylvie, une des trois filles de Gatineau qui rebroussait chemin de peur d'avoir manqué un virage. Je la rassure et nous descendons ensemble la dernière partie de la montagne. Ça fait du bien de jaser pour se changer les idées car chaque pas est une torture. Malgré ça, nous avons tous les deux le sourire et nous rions. Quand je veux ralentir et lui dis de partir en avant, elle me botte le derrière en me disant qu'on était trop proche de la fin et qu'on finirait ça ensemble. Je lui parle de mes enfants qui m'attendront au dernier détour pour courir les derniers mètres avec moi. Quand je les vois, je lui dis qu'elle peut y aller. Je sais qu'elle a encore un peu d'énergie et j'ai ma gang qui va m'aider à faire le dernier 100m.

Sarah, Raphaël et Étienne viennent courir avec moi le dernier petit bout. Ma belle-sœur Karine et ma nièce Marianne sont sur le côté et m'encouragent. J'aperçois Edith un peu plus loin en train de prendre des photos. Je vois mon chum Marc-André tout près de l'arrivée avec son appareil photo dans les mains lui aussi. Sous les applaudissements de tous ceux présents, je passe finalement le fil d'arrivée. Quelqu'un passe une médaille à mon cou. J'espère lui avoir dit merci. Je n'ai plus de jus. Je dis aux enfants que j'ai besoin d'une minute pour reprendre mon souffle et mes esprits. J'aperçois Edith et j'approche lentement vers elle pour l'embrasser et la serrer dans mes bras. Elle n'a aucune idée de l'importance qu'elle a jouée dans ma course. Elle ne le comprendra peut-être jamais complètement. Je commence juste à reprendre mes esprits quand mon ami Dany arrive. Ensuite, je tombe dans les bras de Marc-André. Plusieurs autres membres de La Meute arrivent, certains que j'ai rencontrés pour la première fois le matin même, mais je suis super content de les voir.

Sur l'entrefait, je vois mon ami de course Simon passer le fil d'arriver. Je vais le voir dans la tente d'arrivée où l'attendait son père. Je suis content de voir qu'il a repris du poil de la bête. Il est aussi souriant que moi. Je vois ensuite arriver Marly, puis Sylvain, puis d'autres coureurs croisés durant la course. Je suis autant content pour eux que pour moi. Ça fait du bien de les voir arriver.

Edith revient avec mon manteau d'hiver et le petit keg du Siboire. Une bonne Trip d'automne, qui est de circonstance aujourd'hui. Elle n'a jamais aussi bien porté son nom. Je dirais qu'elle n'a jamais été aussi bonne mais ce serait mentir. Avec l'épuisement, je n'ai pas le goût d'avaler quoique ce soit. Je souris car je suis entouré de gens que j'aime. Je suis vidé mais je suis heureux. Je ne peux pas parler de fierté ou de sentiment du devoir accompli ou de peu importe quel autre sentiment... c'est flou et trop compliqué à ce moment là. Je suis juste bien... heureux.

Alors? Est-ce que ça a bien été?

Bonne question. Sur quoi se base-t-on pour répondre à ça? C'est comme demander à une femme si son accouchement s'est bien passé. Elle te répondra probablement oui même si elle a souffert pendant neuf heures.

En partant, je savais que j'allais souffrir. Je ne savais pas que ce serait aussi tôt dans la course mais je savais que ça arriverait un moment donné. Ça ne me dérangeait pas. C'est un incontournable. La question est de savoir comment on est capable de gérer ces douleurs et cette fatigue. Mon physique m'a lâché beaucoup plus tôt que je m'y attendais mais je suis demeuré positif. Quand j'avais de la misère, je pensais à Edith et Sarah qui m'attendaient au prochain ravitaillement et ça me mettait toujours un sourire aux lèvres. Tous les gens avec qui j'ai parlé durant la course m'ont aidé à me changer les idées. Le picbois dans la troisième montée de Bromont m'a aidé sans le savoir. Le geai bleu, passé dans le sentier en face de moi entre les ravito 5 et 6 aussi, de même que les deux chevreuils croisés pas très loin.

Plusieurs m'ont parlé du sourire que j'ai eu toute la journée. Ma femme s'attendait à ce que je sois bougon ou démotivé à un moment donné. Quand ça allait moins bien, je me suis rappelé (comme Edith me le dit souvent) que j'avais choisi d'être ici. Je me suis rappelé aussi que ça courait plus vite avec le sourire. C'est vrai! Essayez-le! J'ai repensé à mon crédo d'entraînement: #believe #bealive. C'est ce que représentait ce défi pour moi. Chaque fois que j'arrivais au sommet d'une montagne, à l'entraînement, je pensais à ça. Je crois en mes capacités et c'est ce qui me fait sentir en vie.

Objectivement, j'ai complété ma course avec le sourire et avec 35 minutes de moins que ce que j'avais initialement prévu alors oui, ma course s'est bien passée. Au lendemain de cette course, même si je veux pleurer chaque fois que je vois un escalier à descendre, je suis bien. Je suis heureux. Je suis fier mais c'est la fierté dans les yeux de Sarah et Raphaël qui me rend le plus fier. C'est bizarre comme phrase mais relisez-la deux ou trois fois et si vous ne comprenez pas, appelez-moi et on ira prendre une bière ensemble au Siboire.

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