Rivière Arkansas, près du départ du West Line Winder 50

L’an dernier, lors de nos vacances dans la région, j’ai découvert le Sawatch 50-50 : une combinaison de deux ultramarathons, de chaque côté de la vallée de Buena Vista. C’est initialement ce qui nous a ramenés au Colorado cette année. Au départ, on se disait qu’Edith pourrait faire un 50k et moi l’autre, mais ça aurait été difficile de décider qui faisait la course du côté ouest, dans la chaîne des Sawatch. Finalement, Edith s’est inscrite à Run Rabbit Run, alors je me suis inscrit au 50-50 : 50 km dans la San Isabel National Forest le samedi, du côté est de Buena Vista, et 50 km sur la Colorado Trail le dimanche, près du mont Princeton.

L’entraînement ne s’était pas déroulé comme prévu en début de saison, mais j’avais vraiment redoublé les efforts en août et au début de septembre, avec plus de 12 000 m de D+ en cinq semaines. Ma période d’affûtage, le fameux taper, a consisté en une centaine de kilomètres de randonnée avec environ 5 000 m de D+ au-dessus de 3 000 m d’altitude.

West Line Winder 50k

Le départ du West Line Winder 50k se fait au cœur de Buena Vista, petite ville de 3 000 habitants à 2 421 mètres d’altitude, au centre du Colorado. Il faisait froid, mais je savais que ça ne durerait pas. De ce côté de la vallée, le paysage est désertique avec très peu d’arbres. Je savais que la chaleur serait un enjeu. Alors que le soleil illuminait le sommet des Sawatch, nous nous sommes élancés sur ce parcours sinueux de 50 km et de 1 300 m de dénivelé.

Dès le départ, quelque chose n’allait pas. Je suis parti très lentement, mais ma fréquence cardiaque était beaucoup trop haute. Mon cœur battait comme si je sprintais. Je me suis dit que c’était l’excitation du départ et que ça rediminuerait quelques minutes plus tard. Était-ce l’altitude? Ça faisait pourtant plus de deux semaines que nous faisions de la randonnée à plus de 3 000 m, et je croyais m’être bien adapté. Malheureusement, ce problème m’a suivi toute la journée. Même en marchant, j’avais de la misère à faire descendre ma fréquence cardiaque sous les 145, quand elle aurait dû être autour de 135 à la course.

Les problèmes se sont donc présentés rapidement. Après quelques kilomètres, j’étais incapable de manger suffisamment, et mon niveau d’énergie était en chute libre. Le soleil, qui tapait de plus en plus fort, ne faisait rien pour aider. Au moins, le parcours et le paysage étaient magnifiques. Les sentiers n’étaient pas techniques, mais la première moitié de la course était pratiquement en montant tout le long. En arrivant au ravito de mi-parcours, j’étais solidement en surchauffe. Le chef de ravito m’a rapidement mis de la glace dans le cou, et je me suis senti revivre. Edith était là, mais un peu à l’écart, car Ellie n’est pas vraiment à l’aise près des gens.

En repartant, Edith et Ellie ont fait un bout de chemin avec moi. J’espérais un peu me rattraper sur la deuxième partie du parcours, qui était majoritairement en descendant. Malheureusement, rien ne fonctionnait : incapable de manger, pas d’énergie. Au moins, les bénévoles étaient incroyables et drôles, et le parcours était superbe. Je me sens habituellement à l’aise an nature, mais j’avoue avoir regardé plus d’une fois par-dessus mon épaule en parcourant les petits canyons étroits qui semblaient parfaits pour une embuscade de la part d’un cougar. Il faut dire que les parties de squelettes de chevreuil qui parsemaient le parcours n’étaient pas rassurantes. J’ai même vu un squelette complet à part la tête.

Après le dernier ravito, le sentier – une ancienne voie ferrée – était large et descendait doucement. On entendait la musique et les gens qui accueillaient les coureurs. Mon cœur était léger jusqu’à ce que j’arrive à une intersection : le sentier ne se dirigeait pas vers la ville, mais plutôt vers la montagne, dans la seule section technique du parcours. Même si je voyais la ligne d’arrivée, je devais repartir en direction opposée.

J’ai finalement croisé le fil d’arrivée en 9 h 24, mon pire temps sur cette distance, sur un parcours relativement facile. J’ai souffert, mais j’ai quand même profité du paysage, et les bénévoles ont vraiment fait un travail exceptionnel pour rendre cette journée somme toute agréable. C’était maintenant le temps de me reposer : j’avais un autre 50 km qui m’attendait le lendemain matin, sur un parcours beaucoup plus difficile.

Sawatch Ascent 50k

La veille au soir, l’organisation a décidé de changer le parcours. On prévoyait des orages, de la neige et des grands vents. Une bonne partie du parcours initial était au-dessus de la ligne des arbres, et le ravito central était à près de 4 000 m d’altitude, ce qui entraînait des risques importants pour les bénévoles et les coureurs. Les coureurs inscrits pouvaient choisir de reporter leur départ à l’année prochaine, mais ce n’était pas vraiment une option pour moi.

Pour être franc, en finissant le West Line Winder, j’étais à 99% sûr que je ne prendrais pas le départ le lendemain. Je l’ai dit à Edith en lui précisant que je ne voulais pas qu’elle tente de me convaincre. La course avait été vraiment longue et pénible, et ça ne me tentait vraiment pas de recommencer le lendemain. Je voulais tout de même me présenter au départ, même si c’était pour dire que je ne courrais pas. En me levant, je dirais que cette probabilité était passée à 80%.

Physiquement, je me sentais très bien. L’entraînement intensif de D+ avait porté fruit : aucune douleur aux jambes. Côté énergie, je n’avais pas réussi à refaire mes réserves. J’ai toutefois décidé de prendre le départ. Déjà là, c’était une victoire pour moi. Contrairement à la veille, je réussissais à garder ma fréquence cardiaque entre 130 et 135 battements par minute, même en montant l’interminable côte quelques kilomètres après le départ. Temps frais, paysages à couper le souffle, gars heureux, tout allait bien… sauf l’alimentation. Dès que je mangeais quelque chose, je me retenais pour ne pas vomir. Je savais que je devrais pousser un peu pour arriver au ravito dans le temps limite et que la journée serait longue et pénible si je n’arrivais pas à manger. C’est alors que j’ai décidé de profiter de ma promenade à flanc de montagne et de mettre une croix sur ma course. J’ai admiré le paysage et pris 2h10 pour parcourir 12 km avec 400 m de D+, 10 minutes de trop pour pouvoir continuer. J’étais zen avec ma décision, surtout que je ne comptais même pas prendre le départ.

Un gentil bénévole m’a ramené à la ligne de départ, et j’y ai attendu Edith, qui était partie en randonnée avec Ellie. J’ai pu voir les gagnants franchir le fil d’arrivée et discuter avec des gens de partout (et flatter beaucoup de chiens). À ce jour, je ne regrette pas ma décision.

Dernière journée

Toute bonne chose a une fin, et il ne restait qu’une journée à notre séjour au Colorado. Ayant abandonné rapidement le Sawatch Ascent 50k, j’étais en pleine forme pour une dernière randonnée avant notre retour au Québec. Nous avons donc décidé de parcourir une section de la Colorado Trail qui passait tout près du chalet où nous couchions. Encore une fois, nous n’avons pas été déçus. C’est quand même avec le cœur gros que nous disions au revoir à ce coin majestueux. La réalité nous rattrapait; il fallait revenir au Québec pour reprendre le train-train quotidien.

Je vous épargne la route du retour : elle est aussi plate qu’à l’aller. Nous avons tenté sans succès de dormir dans la voiture dans une halte routière de l’Iowa, mais après une heure, j’ai repris le volant. Nous avons réussi à dormir quelques heures, plus loin, dans une autre halte routière. Le deuxième soir, nous avons pris une chambre d’hôtel près du lac Érié, mais ce n’était pas évident. Depuis quelques années, j’ai une phobie des punaises de lit, même si nous n’avons jamais eu de problème avec ces bestioles. Quand on regarde les avis pour les hôtels sur Google, on voit presque toujours des photos de punaises de lit. J’aurais préféré arrêter dans un camping, mais plusieurs étaient fermés. Aussi, après 2200 km en deux jours, je n’avais vraiment pas le goût de monter la tente. C’est à ce moment que le déclic final s’est enfin fait. Ça fait plusieurs années que nous en parlions : nous voulions un jour acheter une van et la convertir en campeur. Avec une van, ça aurait été beaucoup plus simple et confortable de dormir dans une halte routière de l’Iowa ou de faire du boondocking en Ohio. J’aurais aussi pu dormir sur mes deux oreilles sans avoir l’impression que des punaises de lit montaient le long de mes jambes. Pendant notre voyage de retour, nous avons donc pris la décision de nous procurer une van en 2026. Finalement, nous avons acheté un Ford Transit en octobre, et nous le convertirons tranquillement au cours des prochaines années. J’aurai sûrement l’occasion de vous en parler.

Comment